Maiwen Pitton a écrit la préface du livre « Ce que nos filles ont à nous dire » de Florence Pagneux – Editions La mer Salée. Maiwen est l’une des comédien.nes du théâtre documentaire « Aux filles du temps » dont les représentations ont eu lieu en mai 2022. Merci à elle pour son analyse de l’enquête « Aux filles du temps ».
Quand on prend connaissance d’une telle enquête, il est difficile d’y être insensible. Les sujets et les questions abordés nous concernent, de près ou de loin. C’est pourquoi libérer la parole de tout·e·s est important.
À la lecture de tous ces chiffres et ces témoignages, je me suis sentie moins seule. J’ai pris conscience que nos ressentis sont légitimes, et même souvent partagés. Que bien que nos vies soient très différentes, nous passons tout∙e·s par des questionnements similaires. Les chiffres de l’enquête m’ont interpellée et menée à de nombreuses réflexions et remises en question.
Je pense notamment à ceux qui traitent du harcèlement de rue et des agressions sexuelles. Les (jeunes) filles ne sont pas à l’aise dans l’espace public, certaines l’envisagent comme un danger. Le fait d’avoir peur de sortir la nuit ou d’être seule dehors met en évidence à quel point toutes ces situations finissent par être banalisées. Certaines l’ont dit, dans l’enquête : elles se préparent à devoir affronter le harcèlement et les agressions, parce qu’elles considèrent qu’elles seront forcément confrontées à ces épreuves. On finit par anticiper le danger et calculer les risques.
C’est aussi mon cas, au final : lorsque je suis seule, je prends l’itinéraire le plus court, marche vite, regarde sans cesse autour de moi, et garde mes écouteurs dans les oreilles. Le nombre
de victimes d’agressions sexuelles, qu’il s’agisse d’attouchements ou de viols, m’effraie. Mais je pense que, par-dessus tout, ce qui m’a le plus choquée, c’est de voir le nombre de jeunes filles déclarant avoir été forcées. En être consciente ne veut pas dire se sentir légitime d’en parler et d’en souffrir. Le nombre de femmes qui s’imposent une souffrance silencieuse est terrible.
À titre personnel, ces résultats ne m’ont pas seulement interpellée. Ils m’ont surtout perturbée : je ne pensais pas que nous étions aussi nombreuses. J’ai la chance d’avoir un entourage sans tabou et très bienveillant, donc j’ai toujours pu m’exprimer et échanger sur ces sujets. Mais découvrir le ressenti de centaines d’autres filles inconnues est autrement plus impactant.
Sur la question de l’identité de genre, je me suis beaucoup retrouvée dans l’enquête. Est-ce que je me sens réellement fille ? En soi, oui, mais uniquement si je considère que j’en suis une. Mais qu’est-ce qu’être une fille ? Malgré mes propres réponses, ou celles de l’enquête, je persiste à croire qu’il n’existe pas de définition de ce qui est au final une construction sociale, donc un simple concept. En réalité, je ne me sens fille qu’aux yeux des autres. La pure vérité, c’est que je suis moi, et que c’est tout ce qui compte.
Par rapport à l’orientation sexuelle, je me suis aussi identifiée aux personnes de l’enquête. J’ai grandi en ayant la sensation d’être en retard niveau « amours » parce que je n’étais pas attirée par les garçons, et que, par conséquent, je n’ai jamais rien vécu avec l’un d’entre eux. Au collège, pour faire comme mes amies, je déclarais parfois m’intéresser à un garçon, sans en penser un seul mot. J’étais obsédée par le fait de rentrer dans la norme, de ne pas faire de vagues autour de moi. Je crois qu’en fait, avant même de m’interroger sur qui j’aimais réellement, je sentais déjà le poids de la pression sociale invisible sur mes moindres faits et gestes. Ce n’est que plus tard que j’ai compris que me dire hétéro ne m’aiderait en rien à avancer. Comme probablement beaucoup de filles de l’enquête, j’ai mis du temps à m’accepter. Pas parce que j’avais peur de qui je suis, mais parce que j’appréhendais le jugement des autres.
À l’heure actuelle, c’est dur de se sentir totalement à sa place dans la société, que l’on soit femme ou non. À mes yeux, être un homme de nos jours n’est pas simple non plus. Être un homme et se sentir comme tel est un privilège : mais parmi un grand nombre de privilégiés, il y a ceux qui le sont moins que d’autres. Le stéréotype de l’homme viril et fort persiste et se renforce même, et les garçons l’intériorisent très tôt. Un garçon qui se montre sensible s’expose à des critiques parce qu’il apparaît fragile. De la même manière, je trouve que le verbe pleurer ne se conjugue pas assez au masculin, et c’est dommage. J’ajoute que l’éducation traditionnelle que certains parents donnent à leur fils, qui se conforme aux clichés, participe aussi au développement des inégalités entre hommes et femmes. Comme un homme doit être fort et dominant, selon certains parents, leur enfant grandira en se pensant détenteur d’un pouvoir sur la femme, et sans connaître la notion de consentement, par exemple… De mon point de vue, il y a encore beaucoup de chemin pour que les hommes s’affranchissent des attitudes imposées par la société.
Mais c’est aussi difficile d’être une femme. C’est difficile parce que le jugement est omniprésent et qu’il y aura toujours des critiques, peu importe ce que l’on fait. Le plus marquant, à mon sens, concerne l’apparence physique. Aux yeux de la société, une femme doit se conformer aux standards de beauté. Une femme est belle quand elle est jeune (la vieillesse, attention, ça enlaidit), quand elle s’habille sexy mais pas trop (sinon elle ne doit pas s’étonner d’être agressée), quand elle se maquille (mais pas trop non plus bien sûr, sinon elle est aguicheuse), quand elle a de longs cheveux lisses (parce que c’est plus féminin), quand elle n’est ni trop grande, ni trop petite, ni trop grosse, ni trop maigre, quand elle est souriante, bref…
En fait, une femme ne sera jamais vraiment belle au sens qu’on a voulu donner à la beauté : l’idéal à atteindre, désigné par la société, n’est justement pas atteignable, parce qu’il est inhumain. Et la pression qui repose sur les épaules de toutes est immense. L’anorexie et la boulimie résultent directement de cette pression sociale, d’où le fait qu’elles touchent en majorité les femmes.
Mais être une femme, c’est aussi dur parce que cela implique de se comporter d’une façon précise. Une femme qui dit ce qu’elle pense et l’assume est souvent raillée, parce que les stéréotypes veulent justement qu’elle soit calme, discrète, voire au final superficielle. La condition des femmes est toujours source de débats, notamment parce qu’aujourd’hui, se dire féministe prend une connotation négative qui n’a pas lieu d’être, selon moi. Pourtant, malgré certains clichés tenaces, je crois que l’on peut aussi apporter des éléments plus positifs. Au fil des siècles, nous avons acquis des droits, nous nous sommes battues pour qu’ils soient reconnus. Le divorce, le droit de vote, ou encore le droit à l’IVG sont de grandes étapes pour le féminisme qui nous permettent une certaine indépendance et une véritable légitimité. Pour moi, on tend progressivement à une libération des corps et des esprits. Et même si, à la lecture de l’enquête, on a une preuve directe des inégalités femmes-hommes, cela ne veut pas dire que tous les efforts passés sont vains.
Le combat pour l’égalité de tous les humains, peu importe leur genre, est une lutte qui est perpétuelle. C’est en poursuivant dans la voie de l’engagement que l’on peut s’autoriser à aspirer à l’égalité.
Maiwen Pitton – 18 ans
* Partagez votre témoignage anonymement sur le site auxfillesdutemps.fr, avec votre accord il peut être publié et sans votre accord de publication, il sera conservé pour rapporter votre parole lors de temps public, le théâtre documentaire… Merci pour votre confiance.
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